Texte du cabaret des auteurs du dimanche. Thème: Provoquer

Bonjour,

Voici un texte que j'ai lu lors de ma dernière participation au cabaret des auteurs du dimanche (les dimanches 20h à la taverne Jarry à Montréal).

Le thème était "provoquer", alors bon, je suis resté dans le thème. J'espère que ça vous plaira.

PROVOQUER

Je pense que le monde aurait poussé un bien plus grand soupir de soulagement si on avait retrouvé les ossements du petit Jérémy au lieu de ceux de Cédrika Provencher. Même si c’est juste sa mâchoire.

C’est comme ça que j’ai l’intention de commencer mon tight 5 quand je vais faire l’open mic du Bordel. J’pense que je pourrais faire juste cette joke là pis faire un Mic drop tout de suite après, pis le public serait conquis. Ma carrière serait lancée.

Le seul problème, c’est que je sais pas pantoute comment donner suite à cette blague. Je veux pas étaler mes états d’âme sur la scène, mais je sais pas comment faire ça moi, de l’humour qui percute. J’ai justement pas l’aplomb de Monsieur Ward, l’arrogance assumée de Monsieur Matte ; la grossièreté bien placée de Monsieur Mercier, ou même la colère simulée de Monsieur Bellefeuille, ou encore les anecdotes de fellation familiale de Monsieur Lemieux. Je me trouve beaucoup trop commun.

Mais comment y font les humoristes banals ? Qu’est-ce qu’y se dit quand y vient de finir d’écrire un one-man show, Mario Jean? Est-ce qu’y se répète : « Y a quand même du monde qui va manger chez Valentine, faque pourquoi pas moi » ?

Comment qu’elle se sent quand elle sort de scène Lise Dion ? Rassurée que Katerine Levac ait pas encore fait un numéro sur les grosses ?

Pis P.-A. Methot ? Pis François Massicotte ? Pis Sylvain Larocque ?

Pis moi ? Pis moi là-dedans ? La seule autre joke un peu edgy que j’aie déjà écrite, c’est : « Par applaudissements, est-ce qu’il y a des manchots dans la salle ? » Mais même celle-là, il paraît que je l’ai volée inconsciemment à François Lachapelle. Je sais pas comment. Peut-être à la inception. (En passant François, y faut que tu vende la compagnie de ton père, pis fais-t’en pas si y a des changements dans la gravité pendant ta soirée, c’est juste que t’as trop bu)

Le reste de mes blagues parlent de choses plates comme des dates d’expiration sur les produits nettoyants. Non mais tout de même, ça prend quelqu’un pour parler de ça : qu’est-ce qui arrive quand ça expire ? Ça devient salissant ? J’aimerais savoir…

J’me sens comme Jerry Seinfeld, sauf que moi, j’évolue pas dans une société puritaine, hypocrite et sexuellement répressive, qui prône la liberté d’expression, mais qui châtie tacitement tout ce qui n’est pas blanc, mâle, hétérosexuel, chrétien évangélique conservateur et qui ne pèse pas en haut de 250 livres. Je vis seulement dans un modèle dilué de cette société. Mais au moins ça pue pas autant qu’en Angleterre.

Non, je pense que je devrais m’en tenir à écrire des petits textes quétaines sur la douleur de mon existence, ou à faire de l’impro dans des ligues inconnues.

C’est drôle parce qu’en improvisation, j’ai souvent pas de misère à provoquer. J’ai déjà joué un gogo boy qui venait faire un striptease à une fille sur le point de se marier, pis je m’étais mis en bobettes (hein Mélissa, tu t’en rappelles ? C’est comme ça que je t’ai séduite…) J’ai déjà fait un Jésus qui essayait de se suicider. J’ai déjà joué un fermier qui montrait à sa jeune fille comment profiter des animaux de la ferme en attendant le grand amour. Tout ça est sorti de ma tête ! Pourtant, quand je m’assois pour écrire, tout ce qui sort c’est de la poésie de secondaire, quoi que c’est toujours moins pire que du fucking Yan Perrault ! Ou ben je compose des petites mises en scène vaguement absurdes, sauf que j’vais pas trouver des gamiques faciles comme parler en même temps en veston brun, ou mettre une track de bloopers à la fin pour que tout le monde se dise que finalement, c’est pas si pas drôle que ça les Appendices…

En tout cas je l’ai vraiment pas l’art de choquer, de faire réagir, d’aller chercher ce qui dérange les gens. Je veux trop que le monde m’aime, je pense. Mais ce dont on se rend pas compte, c’est que plus on veut que les gens nous aiment, plus on modifie notre comportement pour s’adapter à ce qu’on pense que le monde veut avoir, et moins on est authentique. Et ça, le monde le sent.

C’est là que la réplique : « J’ai toujours pu vivre dans mon art, mais jamais dans ma vie », d’Ingrid Bergman dans Sonate d’automne prend tout son sens (non j’me suis pas tapé un film suédois plate au complet, je l’ai juste copiée d’un autre film plate de Louis Malle parce que j’trouvais que j’aurais l’air cultivé).

Quand je suis sur scène et que je parle de mes angoisses de pacotille, tant que je dépasse pas trop 1000 mots, j’ai l’air teeeeeellement pertinent.

Sauf que si j’essaie de faire ça au bar talheur, pis que je te dis mettons que je suis souvent divisé entre des délires de grandeur et de renommée mondiale, pis le fait que ça me tente pas de me forcer tant que ça pour réussir, tu vas pas me le dire, mais tu vas penser « Y est ben correct sur scène, mais câlisse qu’y tape sur les nerfs dans la vraie vie. » Ou ben tu vas me dire la pire affaire que ma grand-mère m’ait jamais dite : « Tu réfléchis trop, Jonathan » Whaaaaaaaaa ? Tu réfléchis trop, Jonathan ?! Man, grand-maman, c’est ça que je fais dans la vie, réfléchir. Si je réfléchis pas, je cesse d’exister…. Tu réfléchis trop Jonathan. C’est comme dire : « T’es ben trop mouillé, béluga… » Ou ben « Tes tounes passent pu assez à la radio, Lynda Lemay » C’est une bonne chose…

Non, je pense que le mieux à faire, c’est de continuer à rester dans ma zone de confort, sur la scène et ailleurs, surtout ailleurs. Je veux pas que mes enfants grandissent avec un père qui colore en dehors des lignes : c’est beaucoup trop inspirant et passionnant, pis mon père à moi m’a dit un jour de faire attention à mes passions, que c’est dangereux. Et je pense que c’est le message que je veux laisser à la terre. Soyez gentils ; restez bien en ligne et faites pas de vagues.


Ah oui, bonne nouvelle en terminant, quand même, parlant de famille : j’ai appris que la femme avec qui je trompe ma blonde est enceinte ; ça veut dire que je vais enfin devenir oncle…j’suis ben content.

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